Les vies extraordinaires d'Eugène - Isabelle MONNIN
Eugène avait six jours quand il a succombé à un staphylocoque doré. Il était trop faible pour lutter, lui qui est né après seulement six mois de grossesse. Les médecins n'ont aucune autre explication à cette mort, alors ses parents affrontent la perte d'Eugène chacun à leur manière : sa mère a décidé de ne plus parler ; quant à son père, il enquête sur ce qu'aurait pu être la vie de son fils. Parce qu'ils n'ont été que deux dans cette famille à connaître Eugène pendant ces six malheureux jours. Parce qu'il n'a pas le droit de laisser tomber son fils, même si petit. Son fils que tout le monde a déjà oublié. Son Eugène qui avait six jours et qu'il aimait déjà comme un fou.
Autant vous le dire tout de suite, ce livre est le plus fort que j'ai lu cette année, voire depuis plusieurs années. Le sujet abordé est logiquement propice à une émotion intense mais au-delà de l'émotion, l'écriture d'Isabelle Monnin amène autre chose. Je m'explique : certes la mort d'un bébé est un thème qui de toute façon suscitera un sentiment d'injustice, et donc une vive émotion, mais l'auteur ne s'appuie pas sur son sujet pour en faire des tonnes et tirer des larmes à peu de frais à son lecteur. Elle maîtrise l'écriture, elle nous cueille au moment où l'on ne s'y attend pas.
Les deux allusions au film de Christophe Honoré Les chansons d'amour, soit dit en passant mon film préféré de tous les temps, ont renforcé mon sentiment que j'étais face à un texte juste, brillant et maîtrisé. Pas de pathos chez le papa d'Eugène, jamais de harangue à la foule pour dire "Regardez comme je souffre". Tout est dans la délicatesse, la subtilité, la vérité crue aussi parfois. La sensibilité affleure mais ne déborde jamais.
Ce livre restera dans mon panthéon personnel des grands romans, aussi longtemps que je lirai, chers Bérénice addicts. Un moment de lecture précieux, que l'on garde au creux de soi, un texte référence, consolateur, refuge. Qu'on ne me rétorque ni misérabilisme ni bons sentiments : ce serait injuste et ce serait faire affront à tous ceux qui ont dû supporter la mort de leur petit "Eugène". De celui ou de celle qui sans cela, aurait eu une vie extraordinaire, à n'en pas douter.
Isabelle Monnin, Les vies extraordinaires d'Eugène, J-C. Lattès, 2010.
Je mets en lien la chanson Au ciel d'Alex Beaupain, interprétée ici par Louis Garrel, qui a été diffusée pendant les obsèques d'Eugène.